Yves Rouvière met des mots sur ses dessins de Péguy

Le 09/12/2013

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Yves Rouvière est dessinateur. C’est lui qui a réalisé les illustrations du livre « Comprendre Péguy » (Editions Max Milo). Il a collaboré à plusieurs reprises à des ouvrages de cette collection (Marx, Freud, Sade, Lacan…). De Charles Péguy, il ne connaissait rien avant d’être sollicité pour ce travail d’illustration. Donner à voir l’homme Péguy et ses idées, comment s’est-il pris ? Yves Rouvière s’en explique dans l’interview ci-dessous.



 



Amitié Charles Péguy :

Vous avez collaboré à un ouvrage sur Péguy. A l'origine, qu'est-ce qui vous a séduit ou intéressé dans ce projet ?



Yves Rouvière :

"Comprendre Péguy" est le 7ème ouvrage de la collection "comprendre" auquel je participe. Cette fois, les auteurs, Claire Daudin et Marie Boeswillwald, m'ont contacté directement pour me proposer cette collaboration alors que le texte n'était pas encore écrit. Je ne connaissais rien de Péguy, et j'avoue que ma première réaction n'était pas très positive; le peu d'informations que j'avais rapidement glanées sur internet formaient un portrait incomplet, duquel émergeait principalement l'image d'un poète pieux un peu réactionnaire, ce qui ne m'intéressait pas beaucoup. Claire et Marie ont su me convaincre que Péguy était beaucoup plus complexe et intéressant, et que cet ouvrage pourrait trouver un écho avec des thématiques que j'avais déjà abordées dans de précédents ouvrages, comme "comprendre l'anarchisme".

Elles ont eu raison de me pousser à dépasser ce préjugé et à me documenter un peu mieux, la citation de Péguy en page d'accueil de son site officiel (« il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée, c'est d'avoir une pensée toute faite ») a fini de me convaincre.

Rapidement, j'étais intrigué par le parcours atypique du personnage : comment un socialiste libertaire (voire anarchiste), anticlérical puis dreyfusard, polémiste déchaîné, allait sur la fin de sa vie retrouver la foi et laisser à la postérité une œuvre poétique (dite chrétienne) aussi fervente ? Et pourquoi un personnage aussi réputé et controversé, cité par de nombreux auteurs et penseurs, est-il aujourd'hui aussi peu connu du grand public ?



 



Amitié Charles Péguy :

Qu'est-ce que vous avez appris de Péguy ?



Yves Rouvière :

Comme je le disais, je ne connaissais rien de Péguy avant de travailler sur ce livre, j'ai donc tout appris de lui. On peut dire en même temps que je ne sais toujours pas grand chose de son œuvre tant elle fut prolifique et variée!

Disons qu'avec le temps de documentation que je me suis accordé pour me familiariser avec le sujet, j'ai pu appréhender les différentes facettes du personnage et de sa pensée à travers quelques ouvrages clés, De la raison, Notre jeunesse, Péguy tel qu'on l'ignore, ainsi que d'autres textes que m'ont conseillés Claire et Marie.

Ce que je retiendrais surtout, c'est ce combat qu'il mena contre toute forme d'autoritarisme; son refus de tout compromis ou concession envers ses idéaux, quitte à rentrer en conflit avec des proches; cette critique lucide, déjà, de ce qu'on nomme encore aujourd'hui la politique politicienne et d'un monde moderne gouverné par l'argent. L'analogie avec certaines dérives actuelles était frappante, et c'est bien là le sens de cette collection : dire pourquoi il est important et pertinent aujourd'hui de lire ou relire un auteur, en l'occurrence ici Charles Péguy.



 



Amitié Charles Péguy :

Péguy est un homme pour lequel on dispose de peu de photos. Comment avez-vous fait pour le représenter ? Est-ce que vous avez reproduit ? Est-ce que vous avez créé un personnage ?



Yves Rouvière :

Péguy apparait finalement peu sur mes dessins, 3 ou 4 fois je crois… L'absence d'une documentation photographique riche n'était donc pas vraiment un problème, les quelques images qu'on garde de lui m'ont suffit pour le représenter de manière à peu près crédible, du moins je l'espère !

L'idée n'était pas tant d'illustrer Péguy que d'illustrer son parcours et certains concepts clés de sa pensée et de son œuvre.



 



Amitié Charles Péguy :

Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontées dans le travail d'illustration pour ce livre ?



Yves Rouvière :

Comme pour les autres ouvrages de la collection, la difficulté d'un tel travail d'illustration est d'accompagner le texte sans tomber dans la simple paraphrase. C'est le principe de l'image narrative, le dessin doit raconter quelque chose et apporter un complément intéressant, le lecteur doit pouvoir faire le lien entre le texte et l'image sans que celle-ci soit redondante.

Il faut de plus répartir les illustrations tout au long de l'ouvrage avec un bon rythme, sans se répéter et en abordant la plupart des concepts phares ciblés lors du travail de documentation. Quand j'ai la chance de travailler en amont avec l'auteur pendant l'écriture, comme c'était le cas ici, il est possible d'échanger et de cibler ensemble certaines idées.

Je m'autorise aussi parfois quelques digressions. Il est intéressant de mettre en perspective le propos d'un auteur du début du 20ème siècle avec notre époque, ce qui était particulièrement évident avec la critique du monde moderne et de ses nouvelles idoles, de l'église et de l'argent!

Pour résumer, la difficulté est de trouver le bon équilibre, servir le texte avec un regard original, sans le trahir et en y intégrant sa sensibilité propre. C'est en même temps ce qui rend ce travail si passionnant!



 



Amitié Charles Péguy :

Décrivez-nous le dessin choisi pour la couverture du livre : que fait Péguy ? Quelle est cette statue de papier à côté ? Pourquoi avoir choisi spécialement ce dessin-là ?



Yves Rouvière :

La couverture est à l'origine un dessin du chapitre "les Cahiers de la quinzaine" dans lequel je voulais faire passer plusieurs idées. Tout d'abord l'entreprise des "Cahiers" constituait un travail colossal et méticuleux, je souhaitais représenter Péguy comme un artisan, appliqué à parfaire son ouvrage.

Ensuite venait l'idée de collaborations multiples et d'échanges, d'entreprise socialiste d'éducation et de résistance à l'ordre établi. Je cherchais une figure, symbolisant cette mystique républicaine, qui émergerait des cahiers comme une statue de papier, alors j'ai pensé à Marianne et j'ai détourné "La liberté guidant le peuple" de Delacroix… Curieusement, certaines personnes voient Jeanne d'Arc dans cette statue de papier, ce qui fonctionne aussi bien finalement. Cela fait d'ailleurs écho à un autre dessin (voir pièce jointe, format pdf) dans lequel 3 muses forment un arbre, métaphore de l'arborescence et de la germination pour illustrer la révolution: Clio, Jeanne d'Arc et Marianne.

Enfin un sentiment de solitude se dégage du dessin, non pas que les Cahiers aient été une aventure solitaire, mais Péguy mena ce combat jusqu'au bout, même quand il se retrouva isolé et lâché par certains de ses collaborateur, d'où son regard fixé sur la statue mais aussi vers l'avenir, pensif mais inébranlable.

Pour le choix de la couverture, il fallait un dessin représentant Péguy, qui raconte quelques chose d'à la fois simple et pertinent sur lui, avec enfin une composition adaptée à une couverture. Je pense que c'est le seul qui répondait à ces 3 critères.



Propos recueillis par Olivier Péguy 



>>> Pour découvrir le travail d’Yves Rouvière, rendez-vous sur son site internet (voir ici).



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