Paris, "la plus moderne des Babels antiques"

Notes des internautes : Note moyenne 5 Voir les avis des internautes (1)

Le 22/11/2015

Image : Les attentats perpétrés le 13 novembre à Paris ont suscité une vague d'émotion en France et dans le monde. De nombreuses voix se sont élevées pour invoquer la culture et singulièrement la littérature comme rempart à l'obscurantisme et à la barbarie. Les pages écrites par Charles Péguy sur Paris sont notre réponse.

A signaler l'émission "Les nouveaux chemins de la connaissance" diffusée ce vendredi 20 novembre sur France Culture, avec Alexandre de Vitry pour invité.  A cette occasion, il a été relu quelques-unes des lignes ci-dessous.






« Ville du plus grand peuplement, du plus de surpopulation. Ville aussi du plus de solitude, de la plus grande, de la plus auguste, de la plus royale solitude. Ville du plus de fréquence et de fréquentation, du plus de bavardage (cette impiété), (perpétuelle), du plus de relations, du plus de salon, de monde, de mondain, de mondanité. Ville la plus sérieuse, ville la plus frivole. Toute pleine de sa frivolité, de ses frivolités innumérables, inépuisablement renouvelées, infatigablement réinventées, faites avec plus d'ardeur que l'on ne ferait, avec plus de zèle, avec plus de soin, avec plus de sérieux, avec plus de frivolité aussi que nul ne ferait du travail. Ville du plus de papoterie, de conciergerie, de calomnie, de médisance, de petitesse, de grandeur. Ville du plus de papotage, de temps perdu, de temps gagné. De temps employé. De temps occupé. Sérieusement. Temporellement. Et même éternellement. Ville du plus de journalisme, de cabotinage, de littérature, de théâtre (presque toujours infâmes). Et ville aussi, ville dans le même temps de la plus grand solitude, d'un entier, d'un total isolement. Ville de la retraite. Ville du travail. Ville de la rue et en même temps presque trop ville de bibliothèques. Et de musées. Ville de la dispersion et presque trop ville de la concentration. Intérieure. Ville du corps et ville de l'esprit. Ville des jambes et du cerveau.

(...)

Pour nous Français ville de France la plus française, la plus profondément, la plus essentiellement, la plus authentiquement ; la plus traditionnellement française ; une province à elle toute seule, une vieille province française ; et non point seulement capitale du royaume ; mais capitale d'elle-même, d'elle-même province, et, autour, capitale aussi de cette autre, de cette voisine admirable province que fut l'ancienne Ile-de-France. De cette admirable province que fait encore l'Ile-de-France actuelle, une si bonne héritière, qui a tant hérité de l'ancienne.

Et pour tout le monde la ville du monde la plus insupportablement cosmopolite ; une orgie des nations ; un carrefour le plus banal du monde ; un caravansérail des peuples ; la plus antique des Babels modernes ; la confusion des langues ; la plus moderne des Babels antiques ; un boulevard où on parle tout excepté français. Surtout quand on se met à y parler parisien.

Ville du monde la plus internationale, et la seule véritablement internationaliste, passage et séjour des peuples de la terre, de tous les peuples ; et ville nationale, même étroitement, et nationaliste.

Une province à soi toute seule, une nation, un peuple à soi toute seule ; un royaume, un monde à soi toute seule. Et non pas seulement capitale du royaume. Mais capitale du monde.

(...)

Ville du plus d'ordre et du plus de désordre ; du plus grand ordre, du seul qui soit véritablement, réel ; apparemment du plus grand désordre ; réellement du plus grand désordre, du seul fécond.

(...)

Ville qui reçoit de toutes mains, qui tous les matins vous fait du (nouveau) snobisme, tous les jours du nouveau, de l'italianisme, de l'espagnolanialisme, de l'américanisme, de l'orientalisme, de l'occidentalisme, de l'anglaisianisme, du septentrionalisme, hier du gorkisme, aujourd'hui quoi ? du confucianianisme, ou du confusionisme (Jaurès), tous ce sbons garçons doivent croire que c'est la même chose, du méridionalisme, et de tous les points collatéraux ianismes que vous voudrez, de l'océanienianisme, du germanisme, du japonisme, du sinisme, du suisisle, du belgisme, du hollandianisme, du prussisme, du puffisme, du bluffisme, du maritimisme, du montagnisme, du parisianisme, du malaisianisme, du scandinavisme, du danoisianisme, du suédoisianisme, du norvégienianisme, du slavisme, du petit et du grand russisme, du polonaisianisme (sans compter tous les provincialismes français l'un après l'autre) ; de tous les autres et qui le lendemain, matin, tous les lendemains, sans aucune faute, se ressaisit, qui se débarasse, qui se débarbouille, qui se lave et se débarbouille la face, afin de recommencer. De sorte qu'on n'a jamais vu dans l'histoire du monde une ligne droite faite d'autant de courbes, d'autant de brisures et d'autant de brisés, une création, une créature aussi continue faite d'autant de discontinu, un droit chemin fait d'autant de chemins de traverse, une vertu faite d'autant de fautes, une ligne droite poursuivie aussi infailliblement ; aussi sévèrement, aussi sérieusement, aussi strictement assurée par autant d'incertitudes apparentes et réelles, par autant de fausses et de vraies aberrations.

(...)

La plus belle continuité du monde. »



Charles Péguy

De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle (1907)

(Œuvres en prose complètes, tome II, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 1988, p. 730-738.)



Avis sur cette article : 1 | Donner son avis Voir tous les avis Retour aux actualités

Par : ACP

Note : Note 5

Titre : webmaster

Avis : A saluer : l'initiative du lycée Charles Péguy d'Orléans.



http://france3-regions.francetvinfo.fr/centre/le-lycee-charles-peguy-orleans-se-mobilise-860811.html