« Péguy et la fascination de l’argent »

Le 28/02/2012

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L’universitaire Charles Coutel a rédigé une série d’articles consacrés à Charles Péguy. Ils sont publiés dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien. Dans le numéro 3480, l’article est consacré aux commentaires dressés par Charles Péguy sur l’argent. En voici l’intégralité, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et de Témoignage Chrétien.





Péguy et la fascination de l’argent

Par Charles Coutel



SÉRIE (2/4) - L’œuvre de Charles Péguy recèle quelques bombes à retardement pour notre temps. Première bombe : la difficulté à nous libérer de notre fascination pour l’argent. L’œuvre de Péguy est une méditation sur la montée de la dictature de l’argent dans le monde moderne. Il rejoint ainsi Thomas More, Diderot, Marx ou encore Proudhon.



Notre accueil amical et hospitalier de l’Autre homme, des autres hommes, voire de nous-mêmes, se trouve faussé par cette dictature. Le « donnant-donnant » remplace le don gratuit. Quand le droit vient encadrer et garantir nos transactions financières (sous forme de contrat, par exemple), cette tension se fait méfiance (car un contrat peut ne pas être respecté). La confiance s’effrite et l’amitié s’éloigne : le monde moderne se fait inhospitalier !



Monde moderne



Le drame du monde moderne est que ceux qui devraient résister à cette loi de l’argent, du crédit, du capital et des intérêts, c’est-à-dire les socialistes, les républicains voire les chrétiens, se rallient au monde de l’argent par leur adhésion au monde moderne. Et Péguy d’ironiser : « C’est même un spectacle amusant que de voir comment nos socialistes antichrétiens, insoucieux de la contradiction, encensent le même monde sous le nom de moderne, et le flétrissent sous le nom de bourgeois et de capitaliste. »



Il y a un risque énorme à accepter cette contradiction : on aime le monde moderne tout en disant que l’on déteste ce qui le rend possible, l’argent ! En ce moment même, nous assistons à l’explosion de la « bulle financière » et à la dictature des marchés.



Mais qui s’en prend vraiment à cette dictature de l’argent, à la loi mondialisée des marchés ? Qui remet vraiment en cause la spéculation boursière ? Qui cherche à en protéger les enfants, à l’École par exemple ?



Anciens pauvres



Écoutons Péguy quand il écrit dans Clio : « Le grand triomphe du monde moderne : épargne et capitalisation, avarice, ladrerie, économie(s), cupidité, dureté du cœur, intérêts(s), caisse d’épargne et recette buraliste. »



Cette fascination de l’argent n’épargne pas les chrétiens « modernes » qui ne voient plus en lui l’« hôte » indésirable et redoutable qui établit partout le règne du « comme si », des apparences et des « signes extérieurs (de richesse) », comme le redoutaient Marx ou Proudhon.



Dans le même temps, celui qui a de l’argent en veut toujours plus et celui qui n’en a pas est invité à faire semblant d’en avoir. Péguy accompagne toute sa vie Jean Coste, le personnage d’un roman de l’époque qui, pauvre instituteur, doit enseigner que la société va bien alors que lui ne parvient pas à joindre les deux bouts.



En 1908, il remarque : « Celui qui est irréversiblement pauvre est forcé, le malheureux, de faire comme s’il était riche. » Les nouveaux riches oublient très vite qu’ils furent d’anciens pauvres.

L’orléanisme se retrouve ici et nous fait glisser de nos mystiques, qui toutes nous recommandent de remettre l’argent à sa place, vers les politiques.

Retrouvez dans quinze jours, le second volet : notre rapport au pouvoir ; dans un mois, le dernier volet : notre rapport à nous-même.



Charles Coutel est directeur de l’Institut d’étude des faits religieux à l’université d’Artois. Il a récemment publié Hospitalité de Péguy, Desclée de Brouwer, 162 p., 15 €



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