"Ce cher Péguy" à Loupmont

Le 18/06/2013

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Phil Donny est un peintre dessinateur, né en 1955 en Meurthe-et-Moselle. La Galerie du Loup, espace artistique qu’il anime, est installée à Loupmont, dans la Meuse. Or, Loupmont est une ville dans laquelle Charles Péguy a séjourné en août 1914. C’est ainsi que Phil Donny s’est intéressé à l’œuvre de Péguy. En témoigne cet article, intitulé « Ce cher Péguy » paru dans le dernier numéro de Loupkaz, le mensuel de l’association des amis de la Galerie du Loup.



 



Ce cher Péguy 



Il y aura bientôt un siècle, le poète et écrivain Charles Péguy, fit halte avec sa compagnie dans le beau village de Loupmont. Il y séjourna quatre jours, du 12 au 16 août 1914, le temps pour lui d’organiser les exercices et corvées de ses 125 hommes, de goûter à quelques mirabelles et d’aller communier une dernière fois en l’église du village meusien étalé le long de cette côte idéale et ensoleillée. Derniers moments de quiétude pour le patriote ardent qu’il était devenu, adversaire de Jean Jaurès et de son internationale de pacifistes. Le lieutenant Péguy n’avait plus que trois semaines à vivre. Ce destin tragique s’esquisse et s’anticipe déjà dans plusieurs de ses œuvres comme dans ce fameux poème « Heureux les épis mûrs » et jusque dans cette lettre qu’il écrivit de Loupmont à Mme Geneviève Fabre, qui se termine par ces mots : «Je vous dirai peut-être un jour dans quelle paroisse j’ai entendu la messe de l’Assomption ». Avant de s’embarquer avec son régiment vers la Lorraine, Péguy avait rendu visite à tous ses amis à Paris, notamment le philosophe Henri Bergson, lui recommandant de prendre soin des siens au cas où… Il avait aussi mis un point d’honneur à voir une dernière fois ceux avec qui il s’était fâché, parfois violemment. L’homme qui avait écrit et espéré que « la mystique ne soit point dévorée par la politique » faisait face à son destin et à la mort prochaine avec la ferveur du saint et l’espérance du chrétien. Notre cher Péguy sera tué le 5 septembre, offrant son front héroïque à la mitraille allemande, avec cette dernière incantation en guise de salutations « Ah mon Dieu !...Mes enfants !.. ».



Un siècle barbare passe



Celui dont toute la vie avait été accordée à la mystique qu’elle fût antique, républicaine, socialiste ou chrétienne ne connaîtra jamais l’enchaînement fatal qui, de Verdun à Auschwitz, précipitera le monde européen au suicide. L’inconscience de l’homme politique moderne avait prévalu sur toute sagesse, la tabula rasa socialiste ou la fabrique d’une race supérieure étant toutes deux nées de cette assurance moderne « de ceux qui font le malin ». Par quel mystère ce temps barbare avec l’électricité et Stakhanov pour seuls guides spirituels était-il advenu, se différenciant de toutes les horreurs passées par sa rationalité industrielle élevée à une puissance 10, 100 ou 1000. Péguy qui n’avait eu de cesse de critiquer cette modernité déjà si incritiquable, d’avertir ses contemporains des dangers idéologiques des routes toutes droites, de ce nouveau devenu dogme inébranlable, n’aurait pu l’imaginer ! Sans aucun rempart, sans aucun repli, sans d’autres « puissances temporelles ou spirituelles » pour la contredire, tout fut liquidé et précipité: la sagesse grecque, juive, chrétienne, la foi, la raison, la grâce, la démocratie, l’art, tout, même Dieu.

L’homme prométhéen sûr de sa méthode, confiant en sa politique et croyant en son avenir achèvera son œuvre de liquidation dans l’enfer de Verdun avant celui des chambres à gaz et celui des goulags.



Rendez-vous à Loupmont 2014



En ces temps de contemporanéité tapageuse et triomphante, Péguy serait le penseur le plus anachronique, le moins désiré, le plus grand empêcheur de tourner en rond, le plus grand négatif. Il serait indésirable dans ce paradis financier, économique, social et artistique que nous connaissons, où la modernité a atteint son stade ultime, la postmodernité, celle des requins et des bancs de poissons qui les accompagnent. Celle qui ne demande plus rien à personne, qui n’en fait qu’à sa tête, qui s’auto-légitime.

Autant de raisons nécessaires pour redécouvrir son œuvre, la remettre au centre, la confronter à nos résultats, à la finitude de notre planète, à notre crédulité communicationnelle, à notre nombrilisme enfantin, à notre cynisme ordinaire, à notre religion technique.

C’est ce que nous ferons dans ce beau village de Loupmont en 2014, sous la forme d’une déambulation-promenade mettant en exergue les plus beaux morceaux de l’œuvre du génie, sur tous les sujets. Autant de « tweet » envoyés par le poète, sortis des cénacles littéraires, rendus à l’air libre et que tout un chacun pourra s’approprier. Sa voix comme son visage rayonneront au dessus de cette côte de Meuse et de ses villageois et, grande nouvelle, Péguy fera le buzz par ce demi-clair matin car rien n’est aussi vieux que le brouhaha contemporain. L’occasion aussi de consacrer les quatre prochains numéros de Loup-Kaz à quatre textes majeurs de ce grand visionnaire.



Phil Donny



Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur


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